Voici un article qui a presque 70 ans, signé par le journaliste Henry Magnan, et publié dans le quotidien Le Monde, le 10 octobre 1952, c’était l’heureux temps où le cirque faisait régulièrement l’objet de papier dans la presse, un peu comme aujourd’hui le cinéma ou le théâtre, lorsqu’il n’y a pas de confinement, bien sûr.
”Nous n'avions pas ri depuis longtemps d'aussi bon cœur. Charlie Rivels (voir blog30/06/2012) est un merveilleux imitateur de Chaplin, dont il endosse la défroque et dont il retrouve la mimique et le comportement. Ce n'est pas assez de dire qu'il l'imite, il en ajuste le comique à la dimension du cirque, le nourrit de gags de son invention, qui n'ont de place que sur le tapis-brosse et devraient être " repensés " pour l'écran. Ce que Buster Keaton (voir blog14/12/2010) n'a pas su faire en définitive Rivels l'a réussi ; probablement parce que, si paradoxal que cela puisse paraître, Keaton se pastiche en personne à Medrano, alors que Rivels, grandi sous le chapiteau, transpose de l'écran à la piste les pitreries de Charlot, minutieusement étudiées certes, mais étudiées de l'extérieur. Son numéro de trapèze utilisant bien entendu toutes les ressources du jonc recourbé de Chaplin, de son melon, de ses insondables braies, le prouve d'évidence. Ce qui étonna davantage fut de retrouver sur le visage de Rivels l'expression même de Chaplin en ce qu'elle montre d'amertume (pour le fameux sourire il est inimitable). Rivels est un ancien de la piste ronde, où il travaillait avec ses deux frères - nous avons vu Paulo Rivels à l'Etoile il n'y a pas si longtemps, je crois ; son numéro chaplinesque lui valut tant de succès qu'il se présenta seul depuis. Encore est-ce manière de parler : Charlie Rives à cinquante-six ans se trouve doté d'une nombreuse descendance, et ses fils lui servent de faire-valoir présentement avant de recueillir dans leur propre numéro musical et acrobatique de classe internationale le succès qu'ils méritent sous le nom des trois Charlivels. Avec beaucoup de modestie, celle-là même des vrais enfants du voyage, Maïss (voir blog02/06/2013) et Mimile (voir blog11/10/2011) serviront l'instant d'après de clown blanc et d'auguste à Charlie Rivels revenu, sous un maquillage personnel cette fois, faire la preuve de son invention dans plusieurs entrées de piste, toutes inénarrables.
Du reste du programme, excellent dans son ensemble, il serait injuste de ne pas souligner le mérite : Fattini simule l'ivresse pour grimper tel un singe au sommet d'un réverbère flexible d'une bonne vingtaine de mètres afin d'allumer son cigare de la plus vertigineuse façon ; les quatre Arrigonis montrent au trapèze et aux anneaux une folle intrépidité féminine ; les Apollo, scintillants sous une lumière violine comme cristaux de Bohème taillés (des paillettes d'argent enflamment leurs corps d'athlètes), composent de belles attitudes plastiques ; les Bello, les Wazzan, sautent, bondissent et rebondissent comme autant de diables tentant de refaire de bas en haut le parcours fatal à leur ancêtre Lucifer, et les clowns italiens Cele (alias Bello), puis Emilien Bouglione, parachèvent une affiche en vérité exceptionnelle.
Comme on voit en plus Henry Magnan connaissait son sujet et ne se contentait comme souvent aujourd’hui de reprendre un dossier de presse pour torcher un article….