Si le livre de Gérard Noiriel et le film de Roschdy Zem mettent en valeur le personnage de Chocolat, il serait bien hasardeux de penser que Foottit était un clown de seconde zone qui a passé l’essentiel de son temps à gifler son complice Raphaël alias Chocolat. Non la carrière de ce clown d’origine britannique est intéressante et semée de nombreuses anecdotes démontrant que Foottit peut être considéré comme un des clowns qui ont marqué l’histoire de la piste.
George Foottit, de son vrai nom Tudor Hall, était un artiste de cirque qui avait plusieurs cordes à son arc : clown, mime, écuyer, acrobate et même comédien. Né enfant de la balle, son père qui se prénommait aussi George dit Géo avait longuement joué des pantomimes avant de devenir directeur d’un petit cirque britannique le "Foottit Great Allied Circus". Foottit débuta à 3 ans sur la piste familiale en imitant les exercices de force que son père exécutait. Puis il fut envoyé dans un collège de Nottingham jusqu’au décès de son père, il a alors 8 ans. Une fois sa mère remariée à Thomas Batty, ce dernier un célèbre écuyer, l’initie dès 12 ans aux pratiques de l’art équestre. Puis il rejoindra la célèbre cavalerie de son oncle Sanger où il débutera comme écuyer avec un cheval du nom de Tom O’Shanter qu’il conservera jusqu’à qu’il devienne clown.
A 18 ans déjà bon voltigeur à cheval, il est embauché au cirque britannique "Continental" avec Tom O’Shanter que son oncle vient de lui donner. Et c’est dans ce cirque qu’un soir à 20 ans, non pas par vocation ou pour remplacer au pied levé un comique absent, il va changer d’orientation artistique en devenant clown. Foottit a toujours relaté que c'était par pure nécessité, il vient de perdre son cheval au jeu, qu’il endosse le sac de clown. Devant cette situation il ne lui restait plus qu’une chose à faire, paraître le soir sur la piste sous les traits d’un paillasse et faire le pitre pour gagner son pain.
Une autre explication est avancée, Foottit aurait très vite ressenti qu’il n’atteindrait jamais le renommée et la fortune dans la voltige équestre. C’est pourquoi il envisage cette reconversion dans un métier moins pénible et où l’on vieillit moins vite. Mais quel que soit la vraie cause, ce changement d’orientation professionnelle comme on dirait de nos jours, ce n’est nullement une promotion, n’oublions pas qu'à la fin du XIX° siècle être écuyer voltigeur est beaucoup plus prestigieux et rémunéré que la fonction peu enviée de clown.
Donc voilà désormais Foottit clown et, costume mis à part, il n’était pas séduisant. Traits lourds et dissymétriques, nez fort, moue déplaisante, œil droit plus petit que le gauche, un cou de taureau et une bouche dédaigneuse, enfin tout le contraire d’un apollon. Mais il trouve un engagement Covent-Garden de Londres où il sera en concurrence avec une trentaine de clowns acharnés à défendre leur gagne-pain et à se faire valoir. Et c’est dans cet établissement qu’il va avoir l'idée de proposer la parodie de l’Ecuyère à panneau; où habillée en femme, le visage blanc du clown, corsage pailleté, jupe de gaze, il fait chaque soir un triomphe et sort enfin du lot.
Se produisant tour à tour en Angleterre ou en France, Foottit parlait mal le français mais son jargon fut pour le public gaulois une source supplémentaire d’amusement. Il est engagé au cirque Franco-Américain, à l’Hippodrome de l’Alma ainsi que pour l’ouverture du Nouveau-Cirque, et c'est dans cet établissement où son succès ne fait que croître, il devint même en 1890 le premier clown, qu'il s’attache comme partenaire un dénommé Raphaël qui deviendra célèbre sous le nom de Chocolat, mais ceci est une autre histoire.
Il faut reconnaître, et nous l’avons déjà évoqué, George Foottit avait de grandes facilités pour incarner sur piste des femmes. Aussi se lança-t-il avec succès dans une entrée où il parodiait à merveille la grande Sarah Bernhardt qui venait justement de créer "Cléopâtre" au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Pour l’occasion notre clown s’était grimé avec des cheveux crépus rouges et des nombreux bijoux comme l’illustre tragédienne. Son entrée caricaturait avec démesure la scène de la mort de la reine d‘Egypte. Et comme Sarah Bernhardt, où au théâtre elle apparaissait avec un véritable serpent, Foottit brandissait sur la piste un reptile en caoutchouc. Quant au public il jubilait, et c’était du délire lorsque lors d’un rétablissement, Foottit-Cléopâtre mort(e) et soutenu(e) par Chocolat se redressait et se mettait à courir autour de la piste, sa traîne sous le bras. Mais et c'est difficile de nos jours à imaginer que le succès de Foottit-Cléopâtre égala celui de Sarah Bernhardt-Cléopâtre. Pour cette dernière cela devenait un sujet de scandale et de moqueries, entraînant le tout Paris de cette époque à aller au Nouveau-Cirque voir l’interprétation que donnait Foottit de la pièce de Victorien Sardou. Et malgré les démarches de ce dernier, de Maurice Bernhardt le fils de Sarah et les conseils d’Oller qui craignaient la colère de la tragédienne nationale, Foottit ne changea pas d’un iota son sketch. Et ce qui devait arriver arriva, un soir Sarah Bernhardt vint voir le spectacle. Ce soir-là dans les coulisses, connaissant le côté sanguin de la tragédienne, tout le monde n’en menait pas large. En entrant en piste Foottit s’avança naturellement et fit une respectueuse révérence devant la loge où se trouvait la célèbre comédienne puis commença aussitôt sa parodie qui à la longue fit sourire l’illustre spectatrice. Et c’est ainsi que toute la salle et les coulisses furent gagnées par l’hilarité générale et Sarah Bernhardt, bonne joueuse, ne tint pas rigueur à Foottit de son outrageuse caricature à son égard.
Oui Georges Foottit fut plus que le partenaire de Chocolat, c’était un véritable artiste qui connut un succès phénoménal avec Raphaël mais qui fut aussi directeur de cirque, comédien (il joua l'homme au chapeau gris dans le film Fièvre de Louis Delluc) et qui apporta une réelle contribution personnelle à l’art clownesque.
#leclownchocolat