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Le 15 mai 1978, sous le titre, ”C'est une entreprise désespérée que d'être clown”, Pierre Etaix (voir blog16/10/2016) avait fait paraître dans le quotidien ”Le Monde” un article dans lequel il disait toute son admiration pour cet auguste Zazou (voir blog06/06/2021) que fut Emile Coryn, dit Mimile.

Il est intéressant 45 ans après et en ce temps de vacances de le relire. Ce papier n’a rien perdu de son actualité. Aussi je laisse la plume au père de Yoyo qui décrit si bien ce métier si difficile à exercer, celui de clown, qu'il a tant aimé.

"De toutes les particularités qui caractérisent les clowns, il en est un bien singulier. Le clown n'a pas d'âge. Hors du temps, ils ont pourtant tous une date de naissance inscrite quelque part à l'état civil.

Mimile, lui, ou plutôt Émile Coryn est né le 9 juin 1914 à Gand, en Belgique, cadet d'une famille de treize enfants.

À soixante-quatre ans, il a décidé de se raconter. Narcisse ? Non. " Mimile " tout simplement - le clown au cœur " grand comme ça " - rend hommage à ceux qu'il aime ou qu'il a aimé en leur dédiant cinquante années de travail, de foi en son métier, de vie d'artiste.

Le malentendu

Il n'est pas rare, au cirque, de faire ses premiers pas tôt dans l'arène, mais un clown qui entre en piste à l'âge de quatorze ans pour y travailler pendant un demi-siècle, sans avoir le privilège d'être enfant de la balle, révèle déjà une exception.

Le petit Émile Coryn - fils d'ouvrier - fut cette exception qui confirme la règle d'or des gens du voyage. Et son choix précoce de banquiste d'adoption implique un courage qui force l'admiration et efface l'a priori du conte de fées. Il a appris à recevoir les rires du public à travers ses premiers chagrins d'adolescent. Beaucoup prétendent que les clowns sont tristes et qu'ils cultivent même, en dehors de la piste, une certaine mélancolie, affectent la morosité, se complaisent dans le drame, voire le tragique.

D'autres pensent que ce type d'amuseur public se promène en toutes circonstances, du poil à gratter et du fluide glacial dans la poche, résolument optimiste, prêt en permanence à déclencher les ressorts de la bonne humeur collective, grâce à de " désopilantes " plaisanteries.

C'est un malentendu.

Charlie Chaplin lui-même, parlant au nom de tous les clowns, nous a dit que le clown commence toujours par créer le malentendu entre lui et son public. Il est donc tout à fait normal que ce malentendu déborde le cadre de la fiction et s'insinue dans la vie du clown. Car entre sa vie propre et l'univers magique du spectacle qu'il nous donne, il n'y a pas de réelles frontières. Seules les apparences sont différentes mais non l'essentiel de sa vie, de tout ce qui l'anime à travers sa sensibilité, sa vulnérabilité, sa témérité, son amour. Perpétuellement en quête de l'impossible, il cherche à franchir le mur de l'incommunicabilité et rencontre le rire de la dérision ou le froid raisonnement de la logique. En fait, il détient le mystère du rire qui ne lui appartient pas. Chaplin n'a-t-il pas dit encore : " C'est une entreprise désespérée que d'être clown. "

En disgrâce

Destin cruel et sublime à la fois qui s'accomplit dans la passion du dérisoire et de la gratuité. État privilégié qui fait du clown et de Mimile une anomalie perceptible entre toutes, pour notre unique joie.

Bien que le clown soit entré dans la mythologie, les clowns, eux, sont tombés en disgrâce depuis que la confusion des genres s'est immiscée dans la culture. En outre, la disparition progressive des grands noms de la comédie clownesque que Mimile a côtoyés, et qu'il décrit si justement, relègue ses survivants au passé.

C'est le cas du célèbre trio : Pipo, Dario et Mimile que l'on pouvait applaudir dans tous les grands cirques européens, il y a moins de quinze ans.

Pipo depuis a disparu. Et Mimile ressuscite le trio et ses histoires colorées.

Merveilleux amis, je me souviens de chacune de vos " entrées ". Il y régnait une harmonie où la rigueur, le rire et le charme s'exprimaient dans vos natures complémentaires.

Vous aviez percé le mystère du comique à l'état pur en devenant, sans fausse honte, vos propres caricatures et, malgré vos différents rôles de comédie, vous demeuriez clowns, non acteurs, c'est-à-dire vous-même dans le miroir déformant.

Le métier

Une de mes plus grandes joies fut ensuite de tourner un film avec Dario et Mimile. Je les ai vus répéter inlassablement, avec tout le sérieux qu'exige un effet comique, une attitude, un geste ou un mouvement, jusqu'à ce que l'automatisme fasse éclore le naturel.

Mimile, qui a la mémoire de l'observateur, m'a toujours étonné par la justesse de son jeu et l'authenticité de son personnage. Ce fut une immense leçon.

Après le travail, nous parlions " métier " et je lui demandais de combien d'instruments il savait jouer. Il hésitait : Trompette, bien sûr, trombone, violon, violoncelle, saxophone, vibraphone, concertina... Mais j'ai fait de la danse aussi - des claquettes... Évidemment de l'acrobatie : flic-flac, rondade, saut périlleux, de la voltige à cheval et du trapèze, un numéro d'équilibre, un peu de jonglage, du fil de fer... Oui, je n'ai jamais eu le temps de m'ennuyer. J'aime mon travail ! "

Émile Coryn (Mimile) aime son travail. Et c'est peut-être la raison qui l'a poussé à nous raconter sa vie, car ce ne peut être pour se distinguer qu'un clown, aujourd'hui, publie ses Mémoires, face à celles des vedettes du grand et du petit écran.

Il y a dans cette démarche une pureté d'intentions évidente et, par conséquent, incontestable. La permanence de l'enfance confère à cet auguste une grâce naïve et un véritable rayonnement Alain Laville, promu à l'occasion clown blanc, partenaire sur papier de Mimile, a transcrit, avec le scrupule qu'imposent le respect et les sentiments d'affection, les détails d'une vie passionnée, des réflexions émouvantes à propos d'une vocation et de la pratique d'un art particulièrement difficile, qui demeure, à juste titre, pour Emile Coryn la plus sérieuse raison d'être.

PIERRE ÉTAIX.

Tag(s) : #Clowns
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