Vers 1880, les cirques parisiens se multiplient et fascinent l’avant-garde artistique (voirblog30/12/2015). Le jeune Lautrec, très attiré par le monde de la nuit montmartrois, fréquente assidûment le Cirque Fernando (voir blog01/07/2013), situé à Paris en haut de la rue des Martyrs. Cet établissement lui inspirera une série d’œuvres majeures dont "L’écuyère au Cirque Fernando" réalisée en 1887. Cette peinture novatrice tant par le choix des couleurs que dans l’organisation de l'espace, avec une ligne diagonale divisant la scène en deux moitiés. Les images du cirque obsédent l’artiste et lui proposent un thème d’exploration plastique au travers lequel il poursuit ses recherches sur la lumière, le corps en mouvement, le corps dans son émotion et dans sa performance.
Sujet récurrent, le cirque, lieu de tous les excès, permet à Toulouse-Lautrec avec la figure de l’écuyère, celle du clown ou de l’acrobate, de souligner sa fascination pour l’art équestre, pour les prouesses physiques, mais aussi de mettre en évidence la dramaturgie du spectacle.
Dans cette toile, également nommée "Au Cirque Fernando, l’écuyère", le peintre met en évidence les tensions émotionnelles et sensuelles qui se nouent entre le chef de piste et l’écuyère. Le premier: le maître de la piste, personnage dominant un fouet à la main, fait gambader un cheval sur lequel se tient une amazone dévoilant avec impudeur ses cuisses, sous le regard de bourgeois venus faire la fête et peut être s'encanailler au contact des belles artistes de ce cirque. Deux autres personnages partiellement représentés : un clown juché sur un tabouret et tenant un cerceau dans lequel l’écuyère va devoir sauter et un auguste déambulant maladroitement de dos et semblant peu s’intéressé à la scène.
Le spectacle de la piste a tenu un rôle majeur dans la vie de Toulouse-Lautrec. Rappelons qu’au printemps 1889 lors de son internement, pour des désordres mentaux dus à l’alcoolisme, c’est en dessinant de mémoire, une série de 39 dessins sur l'art de la piste qu’il prouve qu’il a retrouvé non seulement sa santé mentale mais aussi sa capacité à travailler. Cette série de dessins aux crayons noirs et de couleurs, réalisées avec cohérence stylistique et virtuosité technique va lui permettre d’abréger son internement et de retourner à sa vie mondaine et de bamboche.
Cette peinture fut longtemps exposée dans le hall du Moulin Rouge. Aussi on peut légitiment se demander si Seurat, autre grand noctambule et familier du Cirque Fernando, ne s’en ait pas inspiré pour son célèbre tableau "Le cirque" (voir blog02/01/2016) où l’on voit sur la piste du cirque Fernando une autre écuyère, tableau qui dégage une tout autre atmosphère.