Cette œuvre est due au talent du peintre et graveur français James Tissot (1836-1902) grand spécialiste des fresques représentant la société mondaine à la fin du Second Empire, époque particulièrement éprise des exercices physiques et du Cirque Molier (voir blog27/04/2012). Rappelons que dans cet établissement chaque représentation donnait lieu à plusieurs concours de beauté (le plus beau chapeau, le plus charmant profil, le plus joli sourire etc...). Les messieurs votaient discrètement et les dames (femmes du monde ou femmes de tout le monde) étaient installées à part, sur les gradins à mi-hauteur - pour y accéder et en descendre afin de recevoir leur prix elles devaient emprunter des échelles et donc montrer leurs jambes.
Dans ce tableau qui ne représente pas l'épopée Molier, mais s'en inspire, James Tissot nous montre une partie de la piste, sur laquelle un clown a l’air de meubler et les deux trapézistes statiques semblent attendre en lorgnant le public, car le spectacle est dans l'assistance. Les gradins eux-mêmes sont un dispositif voyeuriste que le peintre a saisi comme un entrelacs de coups d'œil dans un cercle fermé de regards attentifs… Aussi pour nous faire comprendre que le spectacle est dans la salle Tissot a choisi de nous montrer le jeu des regards entre les spectateurs et les artistes de cet établissement.
Au premier plan une femme en rouge est visiblement engagée dans un aparté du regard avec un clown ayant le drapeau britannique représenté sur sa défroque. Le spectateur debout en costume et chapeau noir dirige son champ de vision non pas vers l'acrobate à monocle en rouge (qui lui contemple la spectatrice habillée de rouge), mais plutôt vers le trapéziste en bleu. Enfin la dame en rose à l'éventail nous fixe avec attention... Et pour accentuer cette impression de voyeurisme, le peintre nous montre aussi que certaines de femmes vont même jusqu’à utiliser pour mieux voir des jumelles.
Enfin dernière surprise , en scrutant bien ce tableau on discerne aussi le discret racolage mondain : ces messieurs font leur choix, car lors des soirs pour demi-mondaines, certaines pantomimes très féminines et très dénudées, sous prétexte artistique, étaient l’occasion pour les spectateurs de trouver chaussure à leur pied pour la nuit.
Et oui l'amateur de cirque de James Tissot n’est pas un tableau d’amateurs mais de mateurs…