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Buster Keaton a, à la fin de sa vie et avec l’aide de Charles Samuels, relaté ses souvenirs dans un ouvrage paru en 1960. Dans cette autobiographie d’une rare modestie, intitulé "La Mécanique du rire", il raconte sa vie marquée par l’évolution du cinéma et la dureté́ d’Hollywood : l’enfance, la scène, l’expérience de la guerre, l’entrée dans le cinéma, le succès, le passage à la réalisation, puis peu après l’arrivée du parlant le fulgurant déclin...
Buster Keaton (voir blog14/12/2010) y relate aussi ses incursions sur les pistes européennes (Medrano, Cirque Royal…) mais laissons-lui la plume pour raconter cette étonnante histoire.
"En Europe, ce n’est pas sous une tente que se déroulent les grands cirques mais dans des arènes en dur, qui sont de véritables théâtres en rond. Les acteurs jouent au centre de la piste, où ils arrivent par le même passage que les fauves, les clowns ou les éléphants. En 1947, c’était l’immédiat après-guerre et tous les acrobates, jongleurs, dresseurs ou clowns allemands étaient encore bannis du cirque français, le public parisien n’éprouvant que haine pour l’ex-occupant. Mais les artistes allemands revinrent discrètement à partir de 1950.
Ce fut pour moi une intense émotion que de jouer devant le public européen. La plupart de ceux qui venaient m’applaudir se souvenaient de mes films. J’interprétais mon sketch extrait du film, Le plombier amoureux.

Je gagnais 3 500 $ par semaine. Toutefois, nous nous heurtâmes à une loi interdisant de sortir de France plus de la moitié de ce salaire, restriction qui nous permit, Eleanor et moi de vivre comme des princes à l’hôtel George V sans nous sentir dépensier.
En 1950, lors de ma deuxième tournée, j’utilisais un sketch extrait de mon dernier film muet, Le Figurant avec Eleanor comme partenaire. Elle ignorait tout du métier d’actrice, n’ayant travaillé que comme danseuse. Mais elle se débrouilla si bien dès ses débuts que je n’eus plus jamais besoin d’une autre partenaire féminine…

En 1951 je donnais un sketch moins épuisant "sur un banc" mais avec ce qui nous arriva pendant cette tournée s’avéra littéralement exténuant, beaucoup plus que n’importe quel numéro de cirque.

Pendant notre traversé vers l’Europe, l’antenne européenne de mon imprésario m’avait engagé sans m’avertir pour jouer 2 semaines au Cirque Royal de Bruxelles (voir blog09/02/2012), juste après notre engagement parisien. Tout s’annonçait bien, sinon que le cachet était plus bas de 600 $ que mes cachets parisiens.
Il n’y a pas tellement de cirques en Europe, et ils constituent un cercle très fermé, où tout se sait. Quand l’organisateur français appris que j’allais travailler à Bruxelles pour un cachet inférieur, il sauta au plafond, convaincu que je l’escroquais en lui laissant payer notre voyage depuis Hollywood – et retour – puis pour travaillant au rabais pour un concurrent qui n’avait rien déboursé pour nos frais.
Il me proposa de régler le conflit en abaissant mon cachet au niveau belge. Comme je refusais il m’offrit de prolonger mon engagement de 2 semaines, à condition que j’annule mon contrat avec les Belges. Chose que je ne pouvais faire par simple honnêteté. De sorte que la démarche suivante de ce monsieur fut de porter plainte contre moi.

Ce soir-là, de retour à l’hôtel, nous trouvâmes notre appartement rempli de gendarmes dressant l’inventaire de tout ce que nous possédions, y compris les brosses à dents et les bigoudis d’Eleanor.
J’appelai à la rescousse le consul d’Amérique, qui me recommanda les services d’une avocate russe. Celle-ci parlant 4 langues, mais quelle que fût celle qu’elle utilisât pour parler à mon employeur, elle ne pût le convaincre de nous restituer nos affaires personnelles.
L’embrouillamini ne cessa que lorsque j’acceptai de céder.
Cet incident m’apporta une publicité internationale dont je me serai bien passé. J’imaginais tout le monde s’apitoyant sur moi : " Ce pauvre Buster Keaton ! Après avoir été vedette, le voilà réduit à faire du cirque pour un salaire de misère !"
Ainsi conclut "l’Homme qui ne rit jamais" sur ses turpitudes circassiennes et parisiennes. Dans son livre édité en France aux Editions Capricci, il compte de nombreuses anecdotes sur l'histoire du cinéma; ouvrage qui comblera non seulement les cinéphiles mais aussi toutes personnes aimant aussi Hollywood et sa légendaire faune!
Tag(s) : #Livres
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